Entretien avec le chérif de Nioro sur la situation au Mali

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EXCLUSIF. L’autre grande personnalité religieuse de la scène malienne, de son vrai nom Bouyé Haïdara, pense qu’il faut donner au moins deux ans à la junte militaire. Entretien.

« J’ai une entière confiance en la junte. » Celui qui s’exprime ainsi n’est pas n’importe qui. Il est l’autre personnalité religieuse de référence au Mali. À côté de l’imam Mahmoud Dicko, chef de file du courant wahhabite d’inspiration saoudienne au Mali et ancien président du Haut Conseil islamique, il y a Bouyé Haïdara également appelé le chérif de Nioro. Il est né et a grandi à Nioro-du-Sahel, à 240 kilomètres au nord-est de la ville de Kayes, dans le sillon de l’islam tolérant de la confrérie soufie d’obédience tijane, celle de la Hamawiyya. C’est son père, Cheikh Hamahoullah, qui en a été le premier guide. Pour bien en comprendre l’influence, il faut savoir que durant toute la première moitié du XXe siècle, la Hamawiyya a été, en Afrique de l’Ouest, le véhicule principal de la Tijaniyya fondée par Si Ahmed Tijani (1738-1815). Fortement opposé à la colonisation française, le Cheikh Hamahoullah est mort en déportation à Montluçon à 62 ans en janvier 1943. De lui, l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ a dit : « Ce qui force l’admiration chez le chérif Hamahoullah, ce ne sont pas la sainteté et les miracles, mais ce sont surtout son courage mâle, sa poigne et son imperturbable sang-froid. » Aujourd’hui, guide de la confrérie Hamawiyya, son fils, Bouyé Haïdara, octogénaire, a accepté de se confier au Point Afrique sur la situation qui prévaut actuellement au Mali.

Le Point Afrique : Le coup d’État du 18 août qui a mis fin au régime du président IBK a surpris tout le monde. Qu’en a-t-il été pour vous ?

Le chérif de Nioro : Le coup d’État n’a pas été une surprise pour moi vu que le pays allait mal. J’avais déjà vu en songe la chute du président. Je ne pouvais dire comment mais j’en étais sûr. Pour moi, c’est la volonté de Dieu et il n’y a rien à ajouter.

Quelle analyse faites-vous de la gestion du pays par l’ex-président IBK durant ses années au pouvoir ?

Lors de l’élection présidentielle de 2013, j’ai aidé le président Ibrahim Boubacar Keita. De son élection à sa chute, je n’ai rien vu de concret. Rien dans le domaine de la santé, de la sécurité, du bitumage, de l’agriculture, etc. Alors que, pourtant, je lui avais accordé toute ma confiance.

C’est le quatrième coup d’État que connaît le pays. Comment expliquez-vous que le recours au coup d’État soit encore d’actualité au Mali qui connaît pourtant la démocratie depuis plusieurs décennies ?

À mes yeux, il n’y a eu qu’un seul coup d’État des indépendances à maintenant. C’est celui de Moussa Traoré à l’endroit du régime de Modibo Keita. Je ne peux pas dire que ce qui s’est passé au Mali le 18 août a été un coup d’État.

Selon vous, quel serait le meilleur régime pour le Mali ?

Le Mali est un pays laïque. Nous devrons vivre ensemble main dans la main. Pour moi, la transition bienvenue est celle qui se souciera au mieux des attentes de la population, des personnes, des biens et des étrangers.

Quel type de transition souhaitez-vous et sur quelle durée ?

En tant que Malien, j’ai entièrement vécu tout ce qui s’est passé. Je pense que le gouvernement de la transition devrait être composé d’un président, d’un Premier ministre et d’un ministre de la Défense, tous trois issus du rang des militaires. Pour ce qui concerne les autres postes, ils devraient tous revenir à des civils. Pour moi, l’acte posé par les militaires est à saluer. À leur endroit, il faudra vraiment faire preuve de patience et leur donner au moins deux ans pour qu’il puisse mener la transition à un bon terme.

Les militaires vous semblent donc une alternative crédible à une classe politique fortement décriée ?

Pendant la crise sociopolitique, quand la situation a commencé à dégénérer, on n’avait aucune visibilité sur ce qui pouvait arriver vu les troubles à ce moment-là. Quand les militaires sont arrivés, ils y ont mis un terme. Pour éviter au Mali une crise profonde, ils se sont mis entre la majorité et le M5-RFP. Donnons-leur un minimum de temps pour mener à bien la transition. Aujourd’hui, la classe politique malienne est divisée. Si un civil prend la direction de la transition, cela peut engendrer des problèmes. Pour ma part, j’ai une entière confiance en la junte. Je pense qu’elle mènera à bien cette transition. Elle en est tout à fait capable. Jusqu’à présent, ils n’ont rien fait de répréhensible. Si jamais cela devait arriver, je ne manquerais pas de dire ma réprobation.

La Cedeao exige la nomination d’un président et d’un Premier ministre civil pour la transition, d’ici au 15 septembre. Quel regard posez-vous sur cette injonction de l’organisation régionale ouest-africaine ?

Je demande à mes frères de la Cedeao de faire preuve d’indulgence et de patience envers les membres du CNSP. Ceux-ci sont venus pour ramener la paix au Mali. Ils l’ont fait, pour le moment, sans effusion de sang. Ils ont permis de mettre fin à une situation qui ne plaisait pas aux populations, laquelle mettait aux prises l’opposition et le président. Avant qu’il n’intervienne, on ne savait pas où on allait. Au moins, en ce moment, nous avons la paix.

Le Mali est un pays laïque. Pour autant, il semble très difficile de pouvoir dissocier la religion de la politique. Pensez-vous que le religieux doit se mêler, quand il le souhaite, des affaires politiques du pays durant la période de transition ?

Je ne pense pas que l’on puisse dissocier la politique de la religion, même si nous essayons de les distinguer. Si on nous laisse librement pratiquer notre religion, il n’y aura aucune raison de se mêler de la conduite du pays. La seule exception pourra être si quelque chose comme le Code de la famille, il y a quelques années, touchant la religion, intervenait. Dans ce cas, je pourrais être amené à m’exprimer. Sinon, il n’y aurait aucune raison de le faire.

Soutenez-vous un ou des candidats pour diriger la transition ?

Le temps n’est pas venu d’en parler. Je m’exprimerais à ce sujet le moment voulu. Ce que je peux pourtant dire c’est qu’il faut se méfier de Soumeylou Boubèye Maïga et de Karim Keïta.

Par Olivier Dubois, avec Malick Diawara: Le Point