SÉNÉGAL – Au 25 mars : 86 cas de coronavirus confirmés, 0 mort.

Actualité Kisal

Mamadou, 38 ans, réalisateur, vit avec son frère à Dakar :

« Ici, au Sénégal, nous avons eu notre premier cas de Covid-19 le 2 mars. Mais jusqu’à cette date, les gens n’y “croyaient” pas. On disait que c’était une maladie de Blancs, que les Noirs disposaient d’un système immunitaire plus fort, qui les protégerait de l’infection, que le virus ne résisterait pas au-delà de 26 degrés, que l’Afrique allait être épargnée… Il y avait des dizaines et des dizaines de rumeurs qui circulaient, toutes plus ou moins fausses. On voit maintenant que l’atmosphère a beaucoup changé. Nous n’avons encore eu aucun mort, mais le nombre de cas augmente énormément. Un état d’urgence sanitaire et un couvre-feu de 20 heures à 6 heures ont été mis en place. Les marchés et les boutiques fonctionnent encore. Mais les mosquées, les écoles, les universités, tous les lieux de rassemblement (salles de concerts, etc.) sont fermés.

Les Sénégalais commencent à mesurer la gravité de la crise. Dans la rue, il y a moins de passants que d’habitude, ils sont de plus en plus nombreux à respecter les distances sanitaires d’un ou deux mètres, ils commencent à faire la queue dehors avant d’entrer dans un magasin, certains portent des masques. Les quarante télévisions sénégalaises ne parlent plus que du Covid-19. TFM, la chaîne du chanteur Youssou N’Dour, propose même des programmes pour les écoliers : les professeurs viennent faire leurs cours en direct à l’antenne. Les associations de jeunes de quartier, les associations sociales et culturelles, vont frapper aux portes pour faire de la prévention, notamment pour les plus âgés. Une petite psychose est en train de s’installer. L’Afrique se rend compte qu’elle est dans le même bateau que l’Europe et l’Asie.

Ce qui m’effraie, c’est de voir l’impuissance des pays occidentaux pour lutter contre le coronavirus. Si jamais le nombre de cas atteint le même niveau ici qu’en Europe, cela risque d’être dramatique, une hécatombe. Les Sénégalais ne pourront pas rester confinés comme chez vous. La majeure partie de la population, 60 % ou 70 %, vit du travail informel. Artisans, commerçants ambulants, mécaniciens, menuisiers… Ils se lèvent chaque matin pour aller gagner l’argent de leur journée. Comment vont-ils pouvoir vivre, se nourrir, nourrir leur famille, s’ils doivent rester chez eux ?

Moi-même qui travaille comme réalisateur et comme vidéaste pour la presse et les ONG, je n’ai pratiquement plus de boulot, alors que mon dernier film a été primé au Festival international de court-métrage de São Paulo au Brésil. Je vis avec mon frère, photographe, qui est dans la même situation que moi. Les prochaines semaines, les prochains mois si la crise dure, cela va être très compliqué pour nous sur le plan financier, si nous avons la chance de ne pas tomber malades. Nous sommes allés voir notre père, qui vit à Thiès, à l’est de Dakar, il y a dix jours, en prévision des longues semaines où ce ne sera pas possible. On s’inquiète pour lui.

Le problème des infrastructures médicales est considérable. Pour l’instant, les malades sont rapatriés à Dakar, où il y a des hôpitaux qui bénéficient de lits de réanimation. Mais comment cela se passera-t-il si le nombre de malades explose ? On les laissera mourir dans les villes où il n’y a pas d’équipement, dans les petits villages, en brousse ? »